Famille Ahmed : une lettre de Claude Gourvil au Préfet de la Mayenne 🗓
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 Laval le 16 mai 2014

Monsieur le Préfet de la Mayenne,

 

Vous avez choisi d’expulser madame et monsieur Ahmed et leurs trois jeunes enfants dans la nuit du 9 au 10 mai dernier.

Sur le fond, comme sur la forme extrêmement choquante, personne ne comprend votre décision, à commencer par celles et ceux qui ont côtoyé dans le quartier, à l’école, cette famille particulièrement pacifique.

Aucun père, aucune mère, ne voudrait pour leurs enfants le traitement que vous avez appliqué à ceux de madame et monsieur Ahmed.

Les enseignants, les animateurs, les agents d’accueil qui ont déployé leurs compétences et leurs savoir-faire, pour une intégration rapide des enfants, sont abasourdis. Vous rayez d’un trait insensé une année de travail et de réussite dont ils étaient fiers, dans le cadre de leurs missions auprès de tous les élèves. À l’incompréhension se mêlent l’écœurement et la démotivation.

En tant qu’élu local, au contact quotidien des citoyens, je suis au regret de vous informer que votre décision et l’acte d’expulsion qui en est la conséquence directe, sous votre autorité, génère une unanimité de rejet. Loin d’éclairer l’action gouvernementale par sa traduction locale, elle l’assombrit considérablement.

Je suis un élu de la République, partie prenant de la majorité gouvernementale, mais je ne me reconnais aucunement dans cette République-là. Les citoyens veulent un État protecteur et force est de constater que, dans ce cas, c’est exactement le contraire qui est mis en œuvre. Un contre-exemple qui crée de la crainte, en tout premier lieu chez les camarades des enfants, mais également chez tous les parents. Les enfants ne comprennent pas pourquoi vous leur avez enlevé leur copine, leur copain. Ils éprouvent le manque, sans que personne ne soit en mesure de leur expliquer le bien-fondé de cet arrachement. Vous déplacerez-vous pour le justifier ? Certains se demandent quand viendra leur tour, car Fatima et Abdel ne sont en rien différents d’eux, et ils imaginent logiquement avec une indicible angoisse qu’ils pourraient subir le même traitement.

L’expulsion de la famille Ahmed vient endommager la confiance que les citoyens pourraient nourrir en leur justice et leur police, et que celles-ci doivent tisser au jour le jour.

Je plains sincèrement les agents de la force publique que vous mettez dans l’obligation d’effectuer de telles tâches. Comment peuvent-ils ensuite aller au-devant des jeunes, des familles, des citoyens, pour remplir leurs missions de prévention et de protection avec fierté, en toute sérénité, en tissant les liens nécessaires de confiance avec la population ?

Le Droit ne justifie pas tout. Il n’est légitime que lorsqu’il sert la Justice et la Paix. Cette Paix que les parents Ahmed ont entrepris de quérir légitimement, alors qu’au fil de leur périple ils n’ont rencontré que violence et insécurité. Et pensant trouver enfin, en France, le pays des Droits de l’Homme, cette sécurité recherchée, ils doivent une fois encore faire face à la violence, institutionnelle qui plus est.

La famille Ahmed n’est pas venue profiter des avantages sociaux. Les parents ont tous les deux un métier et sont prêts à contribuer à l’enrichissement économique, social et culturel de notre pays. Ils parlent parfaitement notre langue et les enfants sont en réussite scolaire. Leur présence est un atout, un exemple même. Leur parcours fait d’eux des héros modernes, autant que ceux glorifiés par l’histoire ou la littérature épique. Notre devoir et notre intérêt consistent à les accueillir dans la dignité et le respect.

Monsieur le Préfet, vous avez pris une décision au nom de l’État français et du Gouvernement qui en assure la gestion collective. Je pense que l’exclusion des parents et enfants Ahmed constitue une grave erreur et porte atteinte à la cohésion sociale, au lieu de la renforcer.

Vous avez toute latitude pour rectifier cela. Réviser votre jugement serait tout à votre honneur et montrerait, finalement, l’humanité de notre cadre législatif et judiciaire, l’écoute et l’attention de l’État dont la première mission est de protéger les plus faibles.

Je vous demande donc, solennellement, en tant que Conseiller général de la Mayenne, de bien vouloir assurer à la famille Ahmed que leur retour à Laval est possible, afin notamment que Fatima et Abdel puissent terminer sereinement leur année scolaire, et qu’ils pourront par la suite être titulaire d’un titre de séjour pour partager notre vie, en construisant la leur à nos côtés.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Préfet, l’assurance de ma considération distinguée.

 

 

Claude Gourvil

Conseiller général

Canton de Laval Nord-Ouest

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