Une soirée au coin du feu
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Texte diffusé initialement  jeudi 1″ décembre sur la liste interne EÉLV alphavert

Bonsoir,

« Étreindre, étreindre ceux qu’on aime. Tout le reste est jouer aux dès. » Je n’ai pas été, loin de là, nourri aux mélodies de Ferrat mais ces deux vers lus ce matin sur un tweet me ramènent à mon état d’esprit lorsque je suis revenu en voiture de ma soirée et de ma nuit à la Zad de Notre-Dame-des-Landes.
L’affaire commence assez banale par la réponse à mobilisation lancée par notre SR, Élen Debost, à faire fonctionner une vigie EÉLV à NDDL pour témoigner et soutenir ceux qui, là-bas, sont en lutte, qui depuis des années, qui depuis quelques semaines ou jours seulement, mais que les évènements de novembre ont projeté au premier plan des luttes emblématiques que nous menons, pour certain/e/s, soutenons, pour d’autres.
La caravane, aménagée dans le bourg, semblant un peu isolée du cœur du réacteur, avec Thierry Pradier, mon collègue d’un soir, nous décidons de nous rapprocher des lieux fréquentés par les zadistes. La Vache Rit, lieu habituel des réunions de l’Acipa est transformée en infirmerie avec des médecins militants qui s’y relaient 24h/24. Un peu plus loin sur la la D81 la ferme des Rolandières est devenue campement, lieu d’accueil et de stockage du matériel collecté en France entière.
L’un regarde mes chaussures et l’autre mon manteau d’un air étonné : « il va te falloir des bottes si tu veux aller à la Chateigne ! On va t’en prêter. » Ce qui fut fait sur l’instant.
Quelques centaines de mètres sur la route en direction de Vigneux et nous tournons sur un chemin large qui longe la Lande de Rohanne. Au loin, une barricade de paille et de palettes, dans un arbre une plateforme, de guet. Là-bas, à une centaine de mètres, deux fourgonnettes bleues à l’arrêt avec leurs occupants déployés alentour. Équipage identique à ceux qui, par deux fois, ont contrôlé mon véhicule et son contenu sur le chemin de la Vache Rit. Disons que l’endroit est très sécurisé…On se demande d’ailleurs comment des agresseurs d’un vigile ou des incendiaires de pailler ont pu passer inaperçu de ces forces de l’ordre qui n’en perdent pas une et notent tout ce qui se passe.

Accueil e la Chateigne mais aussi salle de réunion/dortoir

Accueil formel à la barricade, nous déclarons qui nous sommes et ce que nous venons faire : « Ah t’es Verts ! Ah bon, toi t’es élu, t’es conseiller régional ? Et toi t’es assistant parlementaire du Jadot de Greenpeace ? «  Scepticisme, poignées de main, nous continuons la route. Le chemin devient plus étroit, plus herbeux et humide aussi. Nouvelle palissade, on serre les mains « C’est vous les Verts ? ». Etonnés. Du coup il fait nuit noire. Il faut franchir un fossé  où l’eau affleure puis, d’un coup s’enfoncer dans un bois de chataigners et de bouleaux. Le chemin est strictement impraticable, vingt centimètres d’une boue épaisse. C’est sur ce parcours qu’à transité la chaine humaine du 16 novembre superbement illustrée par le film de RennesTV. On patauge, on avance. Le led de l’iphone fait tâche dans le contexte mais éclaire ! C’est son état.
Un tracteur barre un chemin qui fuit sur la gauche, plus loin, un tas de branchages enlacés oblige à faire un écart, puis un autre, avant de déboucher sur une clairière où, malgré l’obscurité, un entrelacs de tracteurs agricoles qui forme muraille nous saute littéralement à la face. Nous y sommes, c’est la Châtaigne, Chateigne, Chat Teigne, selon la déclinaison que l’on veut bien en faire.
Cinq à six cabanes garnissent le cercle, des groupes sont agglutinés autour de braséros ou de feux de bois. Il commence à faire frisquet. Nous nous présentons à l’accueil. Même étonnement. Qui ne dure que quelques instants. Thierry est embarqué pour éplucher des oignons et un autre me fait visiter le secteur en détaillant l’utilité de chaque construction : dortoirs, salle de réunion, cambuse, No Taverne, autre dortoir, atelier…
Le dialogue commence en cheminant. Il ne cessera pas de la soirée et même de la nuit entre deux phases de sommeil éphémères.

Comme son nom ne veut pas l’indiquer c’est la lieu convivial, l’endroit où il fait le plus chaud, un verre de sureau de bienvenue.

Nos hôtes nous présentent alentour, invitent à venir discuter. Tout y passe : gouvernement, accord PS, Duflot, nucléaire, Valls, couleuvres, démissions, CICE, mariage pour tous, Canfin, traité européen, Roms, expulsions, Dany, les bottes de Jean-Vincent, le tournevis d’Eva,…
Expliquer, expliquer, expliquer, répondre, écouter, entendre. Dans le respect mutuel. Un hurluberlu s’immisce, gentiment ses potes lui demandent de rester au large ou de rentrer dans le cercle. Un bol de soupe passe par là, puis un improbable crumble potiron/blé noir.Étonnamment succulent. On y parle aussi du projet d’aéroport bien entendu et de notre présence dans les institutions qui le financent. Là aussi écouter, expliquer, convaincre. Les messages passent qu’il faut réitérer à un nouveau venu dans le groupe. Salutaire.
Plus tard, beaucoup plus tard, trouver un bout de matelas disponible au milieu d’une cinquantaine de dormeurs assoupis… À quatre heures, la porte du local s’ouvre et retentit un « Çà lève, ça lève, ça lève ! » C’est l’appel pour remplacer les copains de garde aux palissades et aux vigies dans les arbres. Il fait -5°/-6°, les dormeurs s’ébrouent. Arrive un nouvel appel : « On manque de grimpeurs ! » Il s’en lèvera un, len-te-ment. La discussion reprend sur une barricade. Sans doute un peu plus vive. L’esprit ici est plus fight, la présence rapprochée des hommes en bleus n’est pas de nature à générer la tranquillité.
C’est le moment où deux gars de la Gironde quittent le campement pour rejoindre leur pays. Hier soir on s’est croisé à la No Taverne. Ils sont venus avec une camionnette chargée du fruit de la collecte de leur coordination, l’un est paysan bio en Amap, l’autre est technicien forestier à l’ONF. Chez eux le combat ce fut une autoroute inutile qui ne sert toujours pas à grand chose mais aussi, en permanence, le nucléaire civil avec la centrale du Blayais mais aussi militaire avec Laser Mégajoule de Barp. Ils repartent eux aussi avec une impression d’avoir vécu ici un moment assez exceptionnel d’échange. Ils reviendront avec d’autres amis.
Au-delà d’un certain folklore de retour à l’essentiel, mais savoir que la lueur d’une bougie éclaire fort bien un dortoir de 100m2 n’est pas indifférent, c’est l’expérience humaine qui marque et qui doit nous faire réfléchir, nous qui, a longueur de mails, de réunions, de communiqués de presse, de colloques et d’engueulades nous donnons souvent l’illusion de faire de la vraie politique.
Là-bas à la Chateigne, mais ce pourrait tout aussi bien j’imagine être la Jungle de Calais, se respire un air différent, se construisent d’autres logiques, se mènent d’autres réflexions dont nous avons tout intérêt à comprendre les tenants et les aboutissants. Nous disons en termes pesés que cette société craque, qu’un changement doit venir, qu’il est inéluctable, qu’une rupture est nécessaire. Nous le faisons le cul bien posé sur une chaise au final assez dorée. Nous vivons aux côtés de jeunes en révolte sans forcément bien les voir, les écouter, essayer de les comprendre. Échanger.
Je crois à la nécessité impérative d’aller à la rencontre de ceux qui sont nos zadistes de proximité et, pour tous nos élus, disons du grand ouest, mais sans doute plus largement à tous nos parlementaires de venir dans cette ZAD là, une journée, passer la soirée au coin d’un braséro à expliquer que la politique c’est un peu comme le judo : rester sur ses gardes mais toujours avoir en tête de bousculer l’obstacle, de s’immiscer dans la moindre faille, d’exploiter tous les atouts.
C’est à nous qui en faisons au quotidien d’aller expliquer à ceux qui sont en révolte ou en désespérance que la politique ce n’est pas qu’un jeu de chaises musicales, de places à prendre, de médailles à gagner. Si nous ne la faisons pas, si nous ne poursuivons pas à travailler le terreau du monde associatif qui nous observe mais qui ne nous comprend pas toujours bien, nous passerons par pertes et profits au bénéfice de populistes grandes gueules qui rouspètent, vitupèrent, dénoncent mais ne proposent pas grand chose au final si ce n’est qu’ils désignent bien souvent des boucs émissaires : l’étranger, l’Europe, le fonctionnaire, l’autre en somme.
« Étreindre, étreindre ceux qu’on aime. Tout le reste est jouer aux dès. »

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Jean-Michel Braud
+33 670 580 432

A regarder absolument ce film de Rennes TV qui illustre ce papier par l'image. Les photos ce-dessus en sont extraites.