OGM : Il a montré leur toxicité, il doit être exécuté, par Christian Vélot
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Un article de Christian Vélot, 19 octobre 2012

L’étude de Gilles-Eric Séralini et de son équipe de l’Université de Caen sur le
maïs génétiquement modifié NK603 et l’herbicide Roundup, publiée le 19 septembre
dernier dans l’excellente revue internationale Food & Chemical Toxicology1, a provoqué
un tollé mondial. Il s’agit de l’étude toxicologique la plus longue et la plus complète
jamais réalisée au monde sur un organisme génétiquement modifié (OGM) et un
herbicide sous sa formulation commerciale : elle a été effectuée sur 200 rats (100 mâles
et 100 femelles) pendant deux ans (c’est-à-dire tout au long de leur vie) avec plus de 100
paramètres analysés sur chacun d’eux.

Pour bien comprendre ce qui a conduit G.E. Séralini (GES) et son équipe,
soutenus par le CRIIGEN2 (Comité de recherche et d’information indépendante sur le
génie génétique) — dont GES est l’un des fondateurs et le président de son conseil
scientifique — à entreprendre une telle étude, et l’acharnement qu’elle suscite, il est
nécessaire de faire un bref historique et quelques rappels afin de replacer un certain
nombre d’éléments dans leur contexte.
La quasi totalité (99,99%) des OGM agricoles cultivés à la surface de la planète
sont des plantes-pesticides. Je rappelle au passage que “pesticide” est le terme générique
qui englobe les insecticides (qui tuent les insectes), les fongicides (qui tuent les
champignons), les herbicides (qui tuent les herbes, les plantes), etc. Et une plantepesticide
est une plante qui accumule dans ses cellules un ou plusieurs pesticides,
indépendamment de leur nature.

Comment ?
Il s’agit de plantes qui ont été génétiquement modifiées soit pour produire ellesmêmes
un insecticide afin de lutter contre un insecte dont elles sont la cible, soit pour ne
plus mourir quand on les arrose avec un herbicide qui aurait dû les tuer. Les premières
accumulent donc un insecticide parce qu’elles le produisent en permanence, les secondes
accumulent un herbicide car elles peuvent l’absorber sans mourir. Alors que la première
catégorie correspond donc plus précisément à des plantes-insecticides, la seconde
concerne essentiellement des plantes (maïs, soja, colza) qui tolèrent l’herbicide Roundup
commercialisé par la société philanthrope Monsanto : c’est le cas du maïs NK603 qui fait
donc l’objet de l’étude de GES et de son équipe. Si un agriculteur pulvérise du Roundup
sur ses cultures conventionnelles, il va tuer non seulement lesdites “mauvaises herbes”,
mais également les cultures elles-mêmes, étant donné que cet herbicide est un herbicide
non sélectif qui tuent toutes les plantes (et peut-être pas que les plantes d’ailleurs…).
Avec les plantes tolérantes au Roundup, l’agriculteur peut pulvériser l’herbicide en
question sans prendre la moindre précaution puisque sa culture tolère l’herbicide : il tuera
lesdites “mauvaises herbes” sans détruire la plante cultivée.
Les plantes-insecticides d’une part, et les plantes tolérant le Roundup d’autre part,
correspondent aux OGM agricoles dits “de première génération”. Elles représentent,
respectivement, environ 20% et 60% de ces OGM, soit 80% au total des plantespesticides.
Les 20% manquants (pour atteindre 99,99%) sont les OGM dits de “seconde,
troisième et quatrième générations“, c’est-à-dire des plantes génétiquement modifiées qui
cumulent plusieurs “caractères pesticides” : la production d’un ou plusieurs insecticide(s)
et la tolérance d’un ou plusieurs herbicide(s). On n’arrête pas le progrès…
Les animaux qui vont manger ces plantes vont donc être exposés aux pesticides en
question. Les humains qui vont manger les produits animaliers issus des animaux ayant
consommé ces plantes vont — éventuellement — êtres confrontés à ces pesticides selon
le devenir de ces molécules dans la chaîne alimentaire. La moindre des choses serait donc
que ces plantes soient évaluées non seulement comme des plantes, mais également
comme des pesticides, ce qui n’est malheureusement pas le cas.
L’évaluation des pesticides utilisés dans l’agroalimentaire est encadrée par la
directive européenne 91/414 qui précise qu’ils doivent être soumis à des tests
toxicologiques pendant trois mois sur trois espèces animales différentes (dont le rat et la
souris, le troisième n’étant pas un rongeur), auxquels s’ajoutent des études à deux ans sur
le rat. Pourquoi deux ans ? Parce qu’il s’agit justement de la durée de vie d’un rat. Ces
études permettent donc d’observer les effets tout au long de la vie, c’est-à-dire les effets
chroniques. Alors qu’à trois mois, on ne voit essentiellement que les effets aigus.
Cependant, que l’on soit bien clair : loin de moi l’idée selon laquelle ces tests seraient
suffisants alors que les pesticides sont connus, dans leur grande majorité, pour se
comporter comme des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire pour avoir des effets sur
les voies hormonales sexuelles. Il faudrait donc — si l’on s’inscrit dans la démarche de
tests sur des animaux — qu’ils fassent également l’objet d’études sur des femelles en
gestation, que les descendants soient étudiés sur plusieurs générations, etc. Par ailleurs,
les pesticides sont très souvent évalués uniquement sur le principe actif et non sur les
formules commerciales qui contiennent un certain nombre de molécules supplémentaires
(les adjuvants). Ces mélanges sont pourtant, en général, beaucoup plus dangereux,
comme cela a pu notamment être montré à maintes reprises avec l’herbicide Roundup
dont les effets toxiques sont bien supérieurs à ceux de son principe actif chez les plantes,
le glyphosate. Toutefois, en dépit de toutes ces carences, la législation européenne a au
moins le mérite, pour les pesticides, de définir précisément un cadre minimum
d’évaluation.
Qu’en est-il des OGM agricoles, c’est-à-dire des plantes-pesticides ? Il s’agit là
non plus de la directive 91/414 mais de la directive 2001/18 (qui a été transcrite en droit
français début 2008). Et que dit cette directive en matière d’évaluation ? Elle ne dit pas
que ces OGM ne doivent pas être évalués, mais elle ne dit pas en quoi doit consister cette
évaluation. C’est à l’appréciation des comités d’évaluation, tels que l’ANSES (l’Agence
nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ou le
HCB (Haut Conseil des biotechnologies) pour la France, et l’AESA3 (Agence européenne
de sécurité des aliments) pour l’Europe. Dans les faits, les OGM agricoles n’ont jamais
été évalués sur le plan toxicologique à plus de trois mois sur une seule espèce animale : le
rat (ou la souris). On passe donc systématiquement à côté des éventuels effets chroniques.
Cerise sur le gâteau : les tests sont faits par des laboratoires choisis par les firmes
semencières, et pour des raisons de protection industrielle, les données brutes des études
en question sont maintenues confidentielles (au sein des agences d’évaluation), excluant
ainsi la possibilité de toutes contre-expertises et analyses contradictoires.
Le CRIIGEN n’a eu de cesse de condamner cette carence et cette opacité de
l’évaluation des OGM en exigeant d’une part la transparence des données brutes des
études à trois mois, et d’autre part des études complémentaires sur deux ans réalisées par
des laboratoires indépendants des firmes semencières. G.-E. Séralini a notamment réitéré
ces demandes à maintes reprises et en vain au sein de la CGB (Commission du génie
biomoléculaire, ancêtre du HCB avant le Grenelle de l’environnement) dans laquelle il a
siégé pendant huit années sous la présidence de Marc Fellous, l’un de ses plus fervents
détracteurs (qui a d’ailleurs été condamné pour avoir diffamé GES, et qui fait aujourd’hui
l’objet d’un second procès de la part de GES et du CRIIGEN pour faux et usage de faux).
Ce n’est qu’au prix de procédures administratives ou judiciaires lourdes que le
CRIIGEN a pu – directement ou par l’intermédiaire d’autres organisations — accéder aux
données brutes des études à trois mois ayant conduit à l’autorisation de certains OGM de
la firme Monsanto : le “fameux” maïs NK 603 et les maïs-insecticide MON 810 (autorisé
à la culture commerciale en Europe) et MON 863. GES et le CRIIGEN ont alors réalisé,
sur la base de ces données, des contre-expertises publiées en 20074 et 20095 dans des
journaux scientifiques internationaux à comité de lecture6. Ces contre-études faisaient
apparaître notamment des perturbations du foie et des reins différentes selon les sexes
laissant craindre des toxicités hépatorénales chroniques.
Les laboratoires de Monsanto avaient bien observé les perturbations des
paramètres hépatiques et rénaux en question, mais avaient conclu qu’elles n’avaient pas
de signification biologique, au prétexte qu’elles n’étaient pas identiques dans les deux
sexes et qu’elles n’étaient pas non plus proportionnelles à la dose d’OGM contenue dans
l’alimentation des différents lots de rats.
On croit rêver ! Les différences selon les sexes laissent évidemment supposer un
effet sur les voies hormonales sexuelles. Or ces plantes sont justement des éponges à
pesticides qui se comportent très souvent comme des perturbateurs endocriniens. Malgré
cela, aucun dosage hormonal n’a été exigé par les agences d’évaluation. Quant à la nonproportionnalité
entre les effets et la dose, c’est un phénomène extrêmement courant
lorsque les perturbations sont justement d’ordre hormonal. Par exemple, une petite dose
de polluants aux propriétés féminisantes peut provoquer l’ovulation, alors qu’une
concentration plus importante de ce même polluant peut agir comme une pilule
contraceptive, c’est-à-dire de façon totalement opposée.
Peu importe : l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) a repris à son
propre compte les conclusions des laboratoires de Monsanto (« effets biologiquement non
significatifs »), et a donné — comme toujours — un avis favorable à la
commercialisation et/ou à l’importation pour l’alimentation de ces OGM.
Et les contre-expertises de GES et du CRIIGEN n’y ont rien changé : elles ont été
balayées d’un revers de main par l’AESA et les agences nationales (CGB pour l’étude de
2007 ou HCB pour l’étude de 2009) qui ont conclu, en utilisant les mêmes arguments,
que ces études n’étaient pas de nature à remettre en question l’innocuité des OGM en
question.

Circulez, il n’y a rien à voir !
Mais c’était sans compter sur la ténacité de GES. Soutenu par le CRIIGEN, il a
alors entrepris de collecter les fonds (3 millions d’euros) dans le but de réaliser lui-même
avec son équipe, et en s’entourant des collaborateurs apportant les différentes
compétences nécessaires, l’étude à deux ans sur l’un de ces maïs : le NK 603.
Dans cette étude, GES ne s’est pas contenté d’étudier les effets de l’OGM (à trois
doses au lieu de 2 dans toutes les autres études), mais également du Roundup (à trois
doses également) auquel ce maïs a été rendu tolérant, ainsi que de la combinaison des
deux (OGM + Roundup). Le but étant de savoir si les éventuels effets de cet OGM étaient
dus à l’OGM lui-même ou aux résidus de Roundup qu’il accumule (ou aux deux). Dans
chaque sexe, les 100 rats ont donc été divisés en 10 lots de 10 : un lot contrôle (qui ne
mange pas d’OGM et ne boit pas de Roundup), 3 lots nourris avec OGM (à trois doses
différentes), trois lots traités au Roundup (à trois doses différentes) et trois lots traités à la
fois à l’OGM et au Roundup.
Les résultats révèlent non seulement, comme on pouvait s’y attendre au regard des
contre-expertises précédentes, des effets hormonaux non linéaires et reliés au sexe, mais
également des mortalités plus rapides et plus fortes au cours de la consommation de
chacun des deux produits. Les femelles développent des tumeurs mammaires importantes
et en grand nombre, ainsi que des perturbations hypophysaires et rénales, et les mâles
présentent des atteintes hépatorénales chroniques sévères.
Évidemment, les réactions n’ont pas tardé. Dès le premier jour après sa
publication, l’étude a fait l’objet d’attaques violentes, émanant essentiellement, comme
par hasard, de ceux qui sont à l’origine de l’autorisation de ce maïs, tels Marc Fellous et
Gérard Pascal, et ce avant même qu’ils aient pu la lire en détail et s’en imprégner. On
comprend qu’ils soient piqués au vif, cette nouvelle étude remettant directement en cause
la validité de leur propre évaluation. Et ceux là-mêmes qui se sont toujours opposés aux
contre-expertises, demandées entre autres par GES et le CRIIGEN, deviennent tout d’un
coup les fervents défenseur des contre-analyses et de l’expertise contradictoire : « cette
étude doit être validée par des experts », des vrais, qui représentent LA communauté
scientifique. Ben voyons. Je rappelle quand même que l’étude de GES n’a pas été publiée
dans Pif le chien mais dans un journal à comité de lecture (qui plus est, très coté dans le
monde de la toxicologie), ce qui signifie qu’elle a déjà été expertisée par les pairs (par
des experts internationaux choisis anonymement par le bureau éditorial du journal).
Bien sûr, ceci n’exclut pas la critique. Il n’existe pas d’étude scientifique, et quelle
que soit la notoriété du journal dans lequel elle est publiée, qui soit irréprochable et qui
ne puisse faire l’objet de critiques. La contradiction, c’est ce qui fait respirer la
démocratie. On en a besoin en sciences comme ailleurs. C’est sain. Mais ces critiques
doivent être faites de façon constructive, selon certaines règles de déontologie, dans le
but d’identifier les éventuels points faibles et proposer en fonction les modifications de
protocole nécessaires à la répétition de l’étude tout en s’affranchissant d’éventuels
obstacles ou certaines difficultés. Le mot clé en sciences est “reproductibilité”. Cette
étude étant une première, elle doit de toute façon être refaite. Avec comme seule
préoccupation la sécurité sanitaire et non pas le flinguage d’un collègue trop gênant.
Voilà ce qu’on est en droit d’attendre de scientifiques dignes de ce nom.
Au lieu de cela, on assiste à un lynchage en règle de Séralini et ses co-auteurs.
Leur étude ne vaut pas un pet de lapin. Tout est à jeter. Certes, ces attaques viennent
essentiellement d’un petit groupe de scientifiques constitué des militants pro-OGM
habituels — les Felllous, Pascal, Dattée et autres Joudrier de l’AFBV7 (Association
française des biotechnologies végétales) —, mais qui a le culot de prétendre représenter
LA communauté scientifique dans une tribune largement relayée par le journal Marianne
et son journaliste expert en OGM, Jean-Claude Jaillette. Et toujours avec les mêmes
arguments stupides utilisés qui tournent en boucle depuis le premier jour.

 

1) Les rats utilisés ne sont pas les bons car ils sont réputés très sensibles aux cancers. Ah bon ? Mais ce sont pourtant ceux utilisés dans toutes les études de Monsanto qui ont conduit, entre autres, à l’autorisation de ce maïs. Et ce sont aussi ceux qui sont utilisés dans toutes les études de toxicologie, qu’il s’agisse de médicaments ou de
pesticides. En fait, quand on ne voit rien, ces rats sont parfaits, quand on voit des effets, c’est
que les rats choisis ne sont pas les bons. Chat perché ! Sans doute Séralini et ses
collaborateurs auraient-ils dû choisir des rats résistants aux cancers pour ne pas offusquer
tous ces scientifiques bien pensants et, pour certains, contredire leur propre expertise.
Vous voulez étudier le cancer de la prostate ? Faites-le sur des femmes, c’est plus sûr.
2) Les effectifs de rats traités et contrôles (lots de 10 rats) sont insuffisants. Ah
bon ? Alors, pourquoi n’a t-on pas entendu ces scientifiques exemplaires protester contre
toutes les études ayant conduit aux autorisations des OGM et pour lesquelles les groupes
de rats n’ont jamais excédé 10 ? Pour la pomme de terre transgénique Amflora, il
s’agissait même de groupes de 5 rats, et pour le maïs MIR 162 qui est sur le point d’être
autorisé, des groupes de 6 rats. En fait, quand on ne voit rien, 5 rats ça suffit, quand on voit des effets, 10 rats,
c’est insuffisant et donc l’étude ne vaut rien. Chat perché ! Vous me suivez ? Oui, je sais,
c’est compliqué la science !
3) Cette étude n’est pas la première étude de long terme effectuée pour des OGM.
Il y en a eu beaucoup d’autres faites sur d’autres animaux, notamment sur des porcs
pendant trois ans. Et aucun effet n’a jamais été observé ? Alors là, nos scientifiques de
référence deviendraient-ils de mauvaise foi ou feraient-ils preuve d’une certaine
incompétence ? Rappelons d’abord que deux ans pour des rats, c’est la vie entière. Ce qui
n’est pas le cas de trois années pour le porc qui vit au moins quinze ans. Par ailleurs, les
études auxquelles il est fait référence ne sont en rien des études toxicologiques, mais des
études nutritionnelles qui consistent simplement à nourrir l’animal et à observer quelques
paramètres macroscopiques (poids, volume de lait produit,…) sans faire la moindre
analyse de sang, la moindre analyse d’urine, la moindre biopsie ou prélèvement d’organe,
le moindre dosage hormonal, la moindre palpation pour détecter d’éventuelles grosseurs
ou tumeurs, etc.
4) Des millions d’animaux et d’américains mangent des OGM tous les jours
depuis des années et on n’a jamais rien observé de la sorte. Cet “argument” n’est pas
nouveau. C’est notamment celui qu’avait utilisé Axel Kahn lors d’une émission « La tête
au carré » sur France Inter. A la question d’un auditeur relayée par l’animateur Mathieu
Vidard, demandant à l’invité s’il trouve normal que les OGM agricoles ne soient pas
testés plus de 90 jours sur quelques dizaines de rats, et s’il pense vraiment que des tests
aussi réduits peuvent assurer une innocuité raisonnable de ces produits, A. Kahn répond
que « nous disposons d’un test en grandeur nature, à savoir qu’il y a 200 millions
d’Américains qui mangent des OGMs depuis 10 à 20 ans et qu’aucun problème de santé
n’a été recensé ».

Si de tels propos avaient été tenus par Claude Allègre, nous aurions compris. Mais
enfin, Axel Kahn, le généticien référent du journal de 20H ! Comment est-ce possible ?
Sur quelles études sanitaires à grande échelle se base-t-il pour tenir de telles
affirmations ? Sachant que depuis que les OGM existent sur le continent américain, il n’y
a jamais eu aucun suivi systématique des animaux et des humains qui en ont mangé. Et
comment de telles études pourraient-elles d’ailleurs exister dans la mesure où ce
continent ne sépare pas les filières agricoles ? Il est donc impossible de savoir qui
consomme des OGM, à quelle dose et à quelle fréquence, et qui n’en consomme pas.
Comment pourrait-on alors établir une corrélation de cause à effet entre l’apparition d’un
quelconque problème sanitaire et la consommation d’OGM ? D’autant plus que les effets
montrés par GES et son équipe sont justement des effets chroniques, qui peuvent donc, au
sein d’une population, être masqués par d’autres effets chroniques aux origines multiples.

M. Kahn ignore t-il lui aussi ce qu’est une étude toxicologique ? Décidément, la science
n’est plus ce qu’elle fut.
Cet argumentaire de haute volée a été repris dans un article paru sur Médiapart le
22 septembre dernier. Son auteur, Michel de Pracontal, semble s’y connaître autant en
OGM que Nadine Morano en communication, au point qu’il n’a toujours pas compris le
lien entre le maïs NK603 et le Roundup., et que son texte est cousu d’inepties à faire
rougir Claude Allègre.
Nos scientifiques exemplaires s’offusquent également du « coup médiatique » qui
a accompagné la sortie de cette étude : « Une telle démarche n’est pas une démarche
scientifique éthiquement correcte ». Bien sûr, ils auraient tellement préféré que cette
étude reste dans le cercle fermé des scientifiques savants qui savent et que surtout les
bouseux incultes, les sans grade et les gueux incapables de comprendre n’y aient pas
accès. C’est une affaire de scientifiques enfin ! Ne mélangeons pas tout ! Et bien non,
désolés de vous décevoir messieurs les référents en matière d’éthique, c’est avant tout
une affaire qui concerne l’ensemble de la société. Chacun a le droit de savoir avec quelle
transparence et quelle rigueur sont évalués les produits qui se retrouvent dans son
assiette. Messieurs les scientifiques éthiquement responsables considèrent-ils que
l’embargo sur les données brutes des études ayant conduit aux autorisations des OGM et
des pesticides, et le fait qu’elles soient réalisées par leurs promoteurs, soient une
démarche éthiquement correcte ? Ils sont soucieux de l’éthique depuis quand, ces
messieurs de LA communauté scientifique : depuis le 19 septembre 2012 ? Si les
méthodes de communication utilisées par GES et le CRIIGEN ont permis un déclic
éthique chez certains de nos collègues, c’est déjà ça de gagné.

On avance.
C’est ensuite au tour de l’agence européenne de sécurité alimentaire (AESA) –
dont on connaît l’impartialité puisqu’elle a elle-même autorisé les produits évalués par
GES et son équipe en émettant, comme toujours, un avis favorable auprès de la
Commission européenne — et de l’Agence allemande de sécurité sanitaire BfR de donner
leur avis sur l’étude. Et les conclusions des deux agences sont quasiment les mêmes au
mot près : étude pas suffisamment robuste pour être validée. Et encore une fois sur la
base des mêmes “arguments” foireux que ceux exposés ci-dessus et exploités par nos
experts de l’éthique.
Ces deux agences ont réussi l’exploit d’évaluer en moins de deux semaines
l’étude qui a nécessité 4 mois d’expertise de la part des experts internationaux de la revue
Food & Chemical Toxicology. Et pour justifier un tel exploit, M. Jaillette, qui s’empresse
de rapporter dans Marianne les conclusions de l’Agence BfR, précise qu’[elle] a mis les
bouchées doubles (sic). Elle a tellement mis les bouchées doubles qu’elle n’a visiblement
pas bien digéré l’étude et qu’elle n’y a, en tout cas, pas compris grand chose. L’agence
BfR précise notamment que [cette étude] n’apporte aucune raison valable pour rééxaminer
le glyphosate. Alors qu’elle concerne non pas le glyphosate mais le Roundup
dans sa formule commerciale qui, lui, n’a jamais été évalué en tant que tel. GES n’a
jamais demandé une réévaluation du glyphosate mais une évaluation du Roundup. Et
Jaillette, en plein orgasme, qui s’empresse de conclure sur la base de ces analyses oh
combien pertinentes : « Voici donc l’étude Séralini taillée en pièce… ». Jaillette en a
rêvé, l’Agence BfR l’a fait.
Et la furie continue : c’est tout récemment les académies scientifiques qui s’en
mêlent en rendant publique une analyse très sévère de l’étude de GES. Alors là,
évidemment, même si les académies le disent… Doit-on rappeler l’avis de l’académie de
médecine sur l’amiante qui en minimisait les risques et confortait les thèses du lobby de
ce poison8 ? Doit-on rappeler l’avis de l’académie des sciences sur les dioxines qui en
minimisait la toxicité et concluait que ces dernières ne constituaient pas un risque majeur
pour la santé publique9 ? On peut donc leur faire confiance…
Et non contentes de vilipender l’étude de GES, les académies, dans leur avis,
vont jusqu’à recommander la création d’un « Haut comité de la science et de la
technologie » dont la mission serait d’attirer l’attention du CSA (Conseil supérieur de
l’audiovisuel) sur la médiatisation de travaux scientifiques remettant en cause des
savoirs partagés par la très grande majorité de la communauté scientifique
internationale. Magnifique ! Vive le retour au régime de Vichy ! Un comité de censure
pour étouffer toutes les études scientifiques qui remettent en cause les dogmes et la
pensée dominante de LA communauté scientifique ! On n’y avait pas pensé ! Mais qui a
dit que les académies scientifiques ne servaient à rien ?
Face à un tel acharnement, et malgré le fait qu’il soit soutenu par de nombreux
scientifiques en France et à travers le Monde, Gilles-Eric Séralini se retrouve dans la très
inconfortable position du lanceur d’alerte, en proie aux représailles d’industriels menacés
ou d’experts autoproclamés.
L’absence actuelle, en France notamment, de dispositif juridique permettant une
protection du lanceur d’alerte et un encadrement du traitement de l’alerte est d’autant
plus tragique que la recherche et son développement sont pilotés de plus en plus
largement par des intérêts industriels à court terme nécessitant des retours sur
investissements rapides. Cette politique — qui est le résultat de la déresponsabilisation
progressive, depuis plusieurs décennies, des gouvernements successifs en matière de
financement de la recherche publique — conduit inévitablement à de graves dérives, et
notamment, comme c’est typiquement le cas avec les OGM, à une carence et une opacité
des évaluations sanitaire et environnementale, le temps que demandent ces évaluations
n’étant pas compatible avec l’urgence des brevets et des profits d’une part, et la
protection industrielle justifiant l’absence de communication des données brutes issues
des analyses des risques d’autre part. Dans un tel contexte, l’alerte et l’expertise prennent
donc une place tout à fait primordiale.
Il est donc urgent que la France se dote, dans son arsenal juridique, d’un dispositif
de protection du lanceur d’alerte environnementale et sanitaire, à l’instar de pays comme
les États-Unis et leur « Whistleblower Protection Act », ou comme la Grande-Bretagne
(« Public Interest Disclosure Act »). Mais pour être réellement efficace, un tel dispositif
juridique doit se replacer dans un contexte de loi réformant le système de l’expertise et
reposant sur le principe de précaution.
Le 15 octobre dernier, le groupe écologiste du Sénat a présenté en première
lecture une proposition de loi sur la protection des lanceurs d’alerte et la déontologie de
l’expertise scientifique dans le domaine de la santé et de l’environnement, prévoyant
notamment la création d’une Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte qui
serait chargée d’énoncer les principes directeurs de l’expertise scientifique et technique
en matière de santé publique et d’environnement, d’en vérifier l’application et de garantir
la mise en oeuvre des procédures d’alerte. Cette proposition, portée par la sénatrice du
Nord, Marie-Christine Blandin, a été largement inspirée par les travaux de la Fondation
Sciences Citoyennes10 qui réclame depuis plusieurs années une telle avancée législative,
ainsi que par le rapport d’étapes des travaux de la Commission Lepage sur la
gouvernance suite au Grenelle de l’environnement. Les débats sur la mise en place d’une
telle loi devraient reprendre au Sénat le 21 novembre prochain.
Le retentissement médiatique de certaines affaires, comme celles du Médiator
avec Irène Frachon ou des OGM avec Gilles-Eric Séralini nous montre à quel point il est
urgent de réformer totalement les systèmes d’expertise actuels, trop souvent gangrenés
par l’opacité et les conflits d’intérêt, afin que les problématiques de santé et
d’environnement ne soient plus à la merci des intérêts mercantiles, et que les quelques
scientifiques qui ont le courage d’alerter en dénonçant et démontrant les carences d’une
évaluation ne soient pas envoyés à l’échafaud.
Christian Vélot,
Généticien moléculaire à l’Université Paris-Sud 11
Membre du Conseil scientifique du CRIIGEN
Administrateur de la Fondation Sciences Citoyennes
Auteur de « OGM, tout s’explique » (Eds Goutte de Sable, 2009) et
« OGM, un choix de société » (Eds de l’Aube, 2011)

La Fondation Sciences Citoyennes a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel
de réappropriation citoyenne et démocratique de la science, afin de la mettre au service du bien
commun. http://sciencescitoyennes.org/