Tribune de Joël Labbé, sénateur EÉLV du Morbihan parue ce mercredi 19 septembre 2012 dans le journal Libération.
La conférence environnementale va aborder ce week-end les questions de la transition énergétique, de la biodiversité, de la fiscalité écologique et de l’impact des pratiques sur l’environnement et sur la santé. Contexte économique oblige, les premiers pas de la transition écologique de la société doivent se faire en traquant les mesures inutiles, coûteuses et nuisibles à l’environnement. C’est le cas des agrocarburants pour lesquels la France va dépenser près de 200 millions d’euros en 2012. Ceux-ci sont issus de la culture de canne à sucre, de betteraves, de céréales, du colza, du soja ou encore du tournesol. A partir de ces biomasses, on produit de l’éthanol ou du biodiesel utilisés en carburant pour les voitures.
La France soutient leur développement depuis 2005. Initialement, le développement des agrocarburants devait nous permettre de gagner en indépendance énergétique, de faire un carburant écologique à impact zéro carbone. En réalité, il s’agissait surtout d’offrir de nouveaux marchés aux gros producteurs, alors que les prix des matières premières chutaient sur les marchés financiers. Répondant à la pression des lobbies, la France et l’Allemagne ont poussé l’Europe à voter une directive imposant l’obligation d’incorporer 10% d’agrocarburants dans le carburant classique d’ici à 2020. La France est même allée encore plus loin en se fixant cet objectif dès 2015, ce qui l’oblige à importer plus de 30% des agrocarburants que nous utilisons.
Aujourd’hui, nos voitures roulent avec 10% de biomasse, mais l’efficacité énergétique des agrocarburants est moins importante que celle des carburants classiques avec, au final, un surcoût pour le consommateur. Ce coût pour l’usager n’est pas justifié par le bilan environnemental et climatique des agrocarburants ; celui-ci est fortement contesté, notamment par l’Ademe, et par le Centre d’analyse stratégique qui considère cette niche fiscale comme dommageable à la biodiversité. On arrose plus allègrement de pesticides un champ destiné au carburant qu’à l’alimentation, en raison notamment du mode intensif de la culture des agrocarburants. S’ajoute la problématique de l’accaparement des terres, en particulier dans les pays du Sud. La FAO – Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture – souligne le problème de concurrence entre terres vivrières et celles destinées aux agrocarburants. La production d’agrocarburants a un effet inflationniste sur les prix des denrées alimentaires, c’est une menace supplémentaire pour la sécurité alimentaire mondiale.
En termes de bilan financier, entre 2005 et 2010, la filière productrice d’agrocarburants a profité de 2,6 milliards d’aides fiscales cumulées, alors qu’elle n’a réalisé que 1,5 milliard d’euros d’investissement. L’État a très largement soutenu la structuration de cette filière. Aujourd’hui, ce soutien est devenu une véritable «subvention». Ainsi, en 2012, selon l’Inspection générale des finances (IGF), la filière a encore bénéficié de 196 millions d’exonération fiscale qui profitent à des sociétés en situation de «quasi-monopole» et donne un avantage concurrentiel indirect à ces opérateurs déjà solidement implantés. Rappelons que le principal bénéficiaire de ce soutien fiscal n’est autre que Sofiprotéol, présidé par Xavier Beulin, également président de la FNSEA. On est loin de l’idéal d’un soutien financier public pour l’intérêt général.
Pendant ce temps, l’agriculture biologique touche dix fois moins d’incitations fiscales et concerne deux fois moins de surface agricole utile que les agrocarburants. Pourtant, ses bénéfices en termes de création d’activités et d’emplois, de santé publique, de préservation de la qualité des sols, de la biodiversité, de l’air et de l’eau ne sont plus à prouver. C’est une filière d’avenir que nous nous devons de soutenir.