Une Tribune proposée par les ONG du secteur agricole et alimentaire.
L’impact négatif des agrocarburants sur la sécurité alimentaire mondiale est certain. Aux voix des ONG, se sont ajoutées celles d’organismes des Nations Unies ainsi qu’un nombre croissant de représentants du secteur agricole et du secteur alimentaire. Cette semaine, en amont de la Conférence environnementale qui doit se terminer aujourd’hui, le gouvernement Ayrault a également reconnu pour la première fois que l’impact des agrocarburants sur les prix de la nourriture ne peut plus être ignoré.
Tandis que chaque année, la faim tue plus de personnes que le sida, le paludisme et la tuberculose réunis et que la faim dans le monde augmente, l’appui de l’Union européenne, de ses Etats membres et des Etats-Unis aux politiques de soutien aux agrocarburants entraine l’utilisation de quantités de plus en plus importantes de denrées alimentaires pour remplir les réservoirs de nos voitures : 40% du maïs américain et 65% des huiles végétales européennes d’après les derniers chiffres de la FAO. Outre le fait qu’ils sont loin de tenir leurs promesses sur le plan environnemental − la quasi-totalité des agrocarburants utilisés aujourd’hui produisent plus de gaz à effet de serre que le diesel – les agrocarburants produits à l’échelle industrielle pour atteindre les objectifs d’incorporation fixés par les Etats-Unis et l’Union européenne participent en effet directement à la volatilité et l’augmentation des prix alimentaires.
Alors que près d’un milliard de personnes souffre de la faim, la production de denrées alimentaires actuelle pourrait suffire à nourrir correctement l’ensemble de l’humanité. Favoriser la hausse des prix alimentaires dans ce contexte en créant de toutes pièces une demande artificiellement élevée sur le marché des agrocarburants est tout simplement intolérable. D’autant plus que le marché très rentable des agrocarburants incite les entreprises privées à accaparer les terres les plus fertiles et les moins coûteuses dans les pays du Sud. Au cours des dix dernières années, c’est l’équivalent de 4 fois la taille de la France métropolitaine qui aurait été accaparé dans ces pays, dont environ 60% pour produire des agrocarburants. Les populations rurales et paysannes victimes de ces accaparements de terres sont celles qui souffrent déjà le plus de l’insécurité alimentaire. Les pays membres de l’Union européenne doivent renoncer aux objectifs d’incorporation d’énergies renouvelables dans le secteur des transports, qui correspondent pour 90% à l’incorporation d’agrocarburants dans les carburants traditionnels.
A la veille du grand débat national sur la transition énergétique que François Hollande annonce depuis plusieurs mois, le gouvernement a enfin pris conscience des conséquences désastreuses des politiques actuelles de soutien aux agrocarburants. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a annoncé mercredi matin dans le cadre de son plan d’action contre la volatilité des prix que la France allait «faire une pause» sur le développement des agrocarburants. Une déclaration qui va dans le bon sens, même si elle ne permet pas de régler l’intégralité des problèmes liés à la consommation d’agrocarburants en France – pays qui a déjà atteint un taux d’incorporation de près de 7% d’agrocarburants dans les carburants traditionnels. En décembre 2011, la majorité sénatoriale avait déjà voté la fin de la défiscalisation des agrocarburants.
Dans le contexte actuel de crise économique, alimentaire et climatique, il est temps d’aller plus loin, et de renoncer définitivement à l’ensemble des objectifs d’incorporation d’agrocarburants fixés par la France et l’Union européenne. Le droit à l’alimentation de centaines de millions de personnes est en jeu.
Signataires : Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne, Sébastien Fourmy, directeur du plaidoyer d’Oxfam France, Carmen Heumann, présidente de Peuples solidaires en association avec Action Aid, Pierre Perbos, président du Réseau Action Climat France.