Une communication de Jacques Berthelot du 2 septembre 2012
La flambée des prix céréaliers mondiaux de 2005-06 à 2007-08 puis de 2009-10 à 2011-12 tient à de nombreux facteurs – climat, cours du pétrole, taux de change du dollar, hausse de la demande mondiale, spéculation – mais les deux facteurs essentiels sont la baisse des stocks mondiaux et la part croissante du maïs des Etats-Unis (EU) destiné à l’éthanol carburant.
Puisqu’il y a très généralement une corrélation inverse entre les niveaux des stocks et des prix mondiaux pour toutes les matières premières, la responsabilité des EU et de l’UE dans la hausse des prix céréaliers mondiaux est écrasante. Alors que les médias occidentaux ont pointé du doigt la responsabilité de la Chine et de l’Inde pour la hausse de leur consommation de produits animaux, leurs stocks céréaliers ont augmenté et ils ont donc évité une flambée supérieure des prix mondiaux.
Si cette responsabilité s’observe sur l’ensemble de la période de 2005-06 à 2012-13 (où l’on utilise les projections de l’USDA au 10 août 2012), cela est déjà net lors de la première flambée des prix de 2005-06 à 2007-08 où la baisse des stocks EU+UE de 31,4 millions de tonnes (Mt) a dépassé de 14,2% celle des stocks mondiaux de 27,5 Mt. La responsabilité principale tient aux céréales secondaires où les stocks EU+UE ont baissé de 19,6 Mt alors que les stocks mondiaux ne baissaient que de 4,4 Mt, tandis que, pour le blé, la baisse des stocks EU+UE de 18,3 Mt a représenté 68% de la baisse des stocks mondiaux de 26,8 Mt. Il n’est pas nécessaire de parler des stocks finals de riz car ceux des EU+UE sont minimes même si leur niveau a baissé alors que les stocks mondiaux augmentaient.
Si les stocks céréaliers mondiaux ont augmenté fortement en 2008-09, la flambée des prix ayant encouragé la production, ils ont à nouveau baissé de 18,7 Mt de 2009-10 à 2011-12, mais ceux des EU+UE baissaient de 28 Mt, 50% de plus que les stocks mondiaux. Ici aussi la responsabilité principale tient aux céréales secondaires dont le stock EU+UE a baissé de 41% et a représenté 97,4% de la baisse du stock mondial de 30,5 Mt. Pour le blé le stock EU+UE a baissé de 7,2 Mt alors que le stock mondial augmentait de 2,2 Mt.
La situation va se détériorer pour 2012-13 après la forte sécheresse aux EU l’été 2012 et, à une moindre échelle, en Russie, Ukraine, Kazakhstan, Turquie, Argentine et Australie. Sur la période 2009-10 à 2012-13, la baisse des stocks EU+UE de 64,4 Mt dépasserait de 11% celle des stocks mondiaux de 58 Mt. Ici encore la responsabilité écrasante tient à leurs stocks de céréales secondaires dont la baisse de 43 Mt de 2009-10 à 2012-13 représenterait 91,7% de la baisse des stocks mondiaux. La baisse du stock de blé des EU+UE de 11 Mt représenterait tout de même 60,4% de la baisse attendue du stock mondial de 18,2 Mt.
Au total la part des stocks des EU+UE dans les stocks mondiaux a baissé de 28,8% en 2005-06 à 18,5% en 2011-12 et chuterait à 11,8% en 2012-13, dont respectivement de 26,3% à 17,1% et 16,9% pour le blé et de 47,3% à 25,3% et 19,2% pour les céréales secondaires. Par contre la part des stocks de Chine+Inde est passée de 30,3% en 2005-06 à 42,3% en 2011-12 et monterait à 47,4% en 2012-13, dont respectivement de 24,7% à 39,7% et 43,2% pour le blé et de 21,9% à 35,7% et 40,1% pour les céréales secondaires. Et leur part dans le stock mondial de riz passerait de 61,6% en 2005-06 à 65,6% en 2012-13.
La production mondiale de céréales a dépassé en moyenne la demande mondiale de 8,2 Mt de 2005-06 à 2011-12 car les déficits de 2005-06, 2006-07 et 2010-11 ont été compensés par les excédents de 2007-08, 2008-09, 2009-10 et 2011-12. Et, sur la période 2005-06 à 2012-13, année où le déficit attendu est de 40 Mt, la production mondiale dépasserait en moyenne de 2,1 Mt la demande mondiale. Or, sans la production de maïs des EU, aucune année n’aurait été déficitaire et l’excédent de la production sur la demande mondiale aurait été en moyenne de 99,2 Mt de 2005-06 à 2011-12 et de 96 Mt de 2005-06 à 2012-13. Si l’on ajoute les céréales de l’UE consacrées à l’éthanol carburant – de 4 Mt en 2005-06 à 10 Mt en 2011-12 et 11 Mt attendues en 2012-13 – l’excédent aurait été de respectivement 105,6 Mt et 103 Mt. On peut en déduire que l’excédent structurel élevé de la production sur la demande mondiale de céréales aurait conduit à une baisse des prix mondiaux et non aux flambées enregistrées de 2005-06 à 2007-08, puis de 2009-10 à 2011-12 et attendue pour 2012-13. La baisse aurait été la plus sensible sur le maïs mais, par l’effet domino observé depuis 2005-06, elle aurait atteint les prix des autres céréales, oléagineux et produits animaux.
En conclusion, il faudrait interdire la production d’agrocarburants à partir de produits alimentaires mais aussi exiger que chaque pays exportateur de céréales – les EU et l’UE en tête – constitue des stocks publics – car les stocks privés sont spéculatifs – en proportion au moins de leur part dans les exportations mondiales. Mais cela sera très difficile à imposer car les agrocarburants garantissent la flambée des prix des céréales (et oléagineux) qui enrichit tous les producteurs et améliore la balance commerciale des pays exportateurs.
Jacques Berthelot (jacques.berthelot4@wanadoo.fr), http://www.solidarite.asso.fr/Articles-de-2012